Vous êtes directeur général opérationnel du réseau C10. Quel a été votre parcours ?
Guillaume de Marcellus : J’ai débuté chez Brasseries Kronenbourg en tant que chef de secteur grande distribution. J’y ai passé 14 ans en ayant découvert presque tous les postes d’une direction commerciale avant de rejoindre la partie CHR (Cafés-Hôtels-Restaurants). J’ai ensuite quitté Kronenbourg pour rejoindre Bacardi Martini France en tant que directeur commercial on trade au sein d’un univers relativement similaire. Le métier des spiritueux est dans un univers proche du luxe et de la construction de marque, ce que je trouvais intéressant en termes de positionnement. Ce fut une très belle expérience autour du développement de la marque et de ses activités. L’entreprise a ensuite évolué autour d’une organisation très matricielle dans laquelle je me retrouvais moins. C’est pourquoi j’ai décidé de relever un nouveau challenge en rejoignant C10, il y a 11 ans. Je recherchais une entreprise plus « entrepreneuriale », et je n’ai pas été déçu ! En tant que distributeurs de boissons, les adhérents C10 ont longtemps été mes clients, ce qui facilitait ma compréhension de l’organisation.
Pouvez-vous nous présenter le réseau ?
G. d. M. : C10 est aujourd’hui le leader de la distribution de boissons aux professionnels en CHD (consommation hors domicile) en France. Nous sommes, en quelque sorte, une bande d’irréductibles. Les adhérents C10 se sont rassemblés au fil des années, dans un premier temps avec un objectif de massification des achats, puis dans un second temps, pour faire face au rachat par les industriels de la distribution, dans une logique d’intégration. Avec pour crédo qu’une distribution indépendante avait sa place dans le paysage du CHR. C10 a été créé en 2004 en progressant régulièrement via des opérations de croissance externe. Nous avons aujourd’hui près de 90 adhérents, 230 entrepôts et un chiffre d’affaires global de 1,5 milliard d’euros en traitant avec 280 fournisseurs. Nous avons notamment livré 82 000 points de vente CHR en 2022, pour 31 % de parts de marché.
Quels sont les atouts de C10 et l’importance de son modèle d'entreprise ?
G. d. M. : Nous avons de réelles capacités d’investissement et d’engagement sur le long terme. Cette forte dimension entrepreneuriale autour des valeurs coopératives a rapidement fait la différence. On porte une histoire, on entreprend en tentant de nouvelles choses tout en restant pragmatiques. Les prises de décision, la rapidité et la flexibilité sont de réels atouts pour les groupements coopératifs. Un élément majeur réside dans le fait de savoir donner du temps au temps, avec une stratégie axée sur la constance qui permet de garder le cap. Notre force, c’est aussi ce maillage national, autour de la richesse des adhérents, leur capacité à produire, se développer et organiser le développement de C10.
Comment les adhérents s’investissent-ils au sein du ?
G. d. M. : Ils ont une vraie capacité à chercher, tenter, développer pour leur compte et celui des autres. En interrogeant, il y a de nombreuses années, un acteur sur le mode de fonctionnement, ce dernier m’expliquait notamment que 200 autres adhérents de son réseau étaient sûrement en train de réfléchir en même temps que lui à de nouvelles idées et solutions pour développer le réseau avec probablement, à la clé, 5 bonnes idées qui contribueraient alors à la richesse du réseau dans les années à venir. Cet exemple se voulait un symbole du partage d’idées et de réflexion qui fait la force d’un groupement coopératif. Cet échange, qui m’avait alors frappé, illustre très bien notre fonctionnement. Nous travaillons avec des et des groupes de travail - 27 à ce jour - avec 54 adhérents impliqués dans des domaines divers et variés (achats, métiers, digital, outils datas, finances, formation ou encore logistique). En parallèle, nous avons aussi une ou deux conventions annuelles, ainsi qu’une convention commerciale tous les 3 ans, réunissant l’ensemble de nos fournisseurs et commerciaux. A travers notre institut de formation, nous formons un millier de collaborateurs sur une quarantaine de modules différenciés.
Vous avez été confronté à différentes crises ces derniers mois. Comment y avez-vous fait face ?
G. d. M. : La crise sanitaire a clairement impacté notre activité, presque tous les lieux de distribution de boissons étant fermés pendant les différents confinements. Nous restions très proches de nos adhérents, tant sur les questions d’organisation (gestion des stocks produits notamment et des négociations en cours) qu'en matière de gestion économique (comme pour le recours au PGE). Nous livrions alors quelques hôpitaux et collectivités mais l’activité était très limitée. Les problématiques de carburant ne nous ont pas durement impactés, de même que les manifestations et les grèves récentes. Mais à la longue, la répétition de ce événements aura sans doute un impact sur notre activité et celle de nos clients. A contrario, la période inflationniste actuelle joue sur notre activité, notamment lors des campagnes de négociation annuelles. Nous avons passé une année à effectuer des négociations. C10 a pris clairement position en faveur d’un soutien aux petits fournisseurs, aux locaux, pour ne pas impacter économiquement leur activité. Ma crainte vient davantage du consommateur et de ses futurs choix. Avec les impôts, l’augmentation des factures de gaz et d’électricité et l’inflation, le consommateur pourrait être amené à prioriser ses dépenses ce qui aurait probablement un impact sur le secteur de la restauration.
Quelles actions menez-vous en matière de RSE ?
G. d. M. : Nous disons souvent que nous sommes « responsables par nature et engagés pour le futur ». Nous avons fortement accentué nos actions autour de ces questions en axant nos travaux autour de quatre actions prioritaires :
- Sélectionner et promouvoir une offre responsable autour du développement d’une charte des achats responsables avec entre autres la volonté de privilégier le local
- Recycler 100 % des emballages
- Diminuer l’empreinte logistique et développer l’agilité urbaine, notamment dans les zones à faibles émissions (ZFE)
- Investir dans l’humain pour accompagner durablement chaque client, en améliorant l’accompagnement et la formation de nos chauffeurs et livreurs, premiers représentants de nos entreprises.
Sur ce premier volet, nous avons élaboré une charte des achats responsables en essayant de limiter, par exemple, l’importation de produits étrangers et en privilégiant au maximum le local. Nous avons, par ailleurs, développé récemment une solution d’eau microfiltrée pour les points de vente.
Sur le second point relatif au conditionnement, nous faisons en sorte de proposer des produits destinés à être recyclés. Il se trouve que 45 % de notre activité concerne l’univers de la bière et 80 % du volume de la bière est consigné. Nous proposons aussi un système de reprise de verre dit « non re-remplissable », pour le réinjecter dans les filières de traitement, et ceci, dans plus de 2500 points de vente.
Concernant le troisième point, il s’agit de s’adapter aux contraintes de circulation des véhicules notamment dans les Zones à Faibles Emissions (ZFE), au gré des évolutions décidées par les politiques. Nous devons malheureusement nous adapter continuellement aux décisions prises ; des décisions qui diffèrent entre le calendrier des politiques, présents pour un mandat de quelques années seulement en opposition avec la vision à long terme d’une entreprise. J’espère que nous arriverons à conjuguer efficacement les conditions de circulation entre le cœur de ville et le hors-agglomération.
S'agissant du dernier point, cela concerne bien sûr les « pénuries » de personnel dans le secteur. Nous sommes persuadés que nos chauffeurs et livreurs ont une relation très particulière avec le client. Ce sont les premiers qui apportent le service et développent la relation avec le client. Nous voulons donc capitaliser et investir davantage sur eux et pour eux, en améliorant leurs conditions de travail grâce à la formation, à la sensibilisation aux risques physiques et à l’évolution de leurs compétences.
Nous disons souvent que nous sommes « responsables par nature et engagés pour le futur ».
Quelles sont vos perspectives ?
G. d. M. : Nous avons développé une enseigne de caves à vin, Comptoir des Vignes, qui compte 54 points de vente et connaît une croissance continue. Avoir une activité BtoC était une belle opportunité pour réduire la dépendance exclusive au BtoB et diversifier l’activité. Début 2023, C10 a fait l’acquisition de La Cervoiserie, une enseigne de caves à bière et dégustation de 33 points de vente. Notre coeur de métier reste le CHR. L’accélération du programme RSE sera bien sûr prioritaire, au même titre que le digital pour en faire un élément fort de diversification. Au vu de la période inflationniste, il faut surveiller les futurs arbitrages du consommateur. Je vois par exemple le chiffre augmenter mais le volume baisser, ce qui n’est jamais un bon indicateur en matière de consommation et de création de valeur. Nous redéfinissons actuellement notre feuille de route à cinq ans en challengeant les hypothèses d’évolutions du marché et notre positionnement pour nous assurer que la direction prise soit en adéquation avec les mutations du secteur et les tendances de consommation. Le CHR reste un lieu plébiscité par les Français, un lieu de rencontre, de partage, de plaisir. Cela nous donne beaucoup de confiance pour l’avenir !
C10 en chiffres :
- 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2022
- 87 adhérents
- 230 entrepôts