« C'est LE moment que tout le monde attend », confie Bruno Fermier, à la tête d’un qui fédère aujourd'hui 170 librairies indépendantes, 60% des librairies spécialisées BD en France.
La a vu le jour en 2007, sous l’impulsion d’une association de libraires indépendants. À l’époque, ils comprennent tout l’intérêt de passer à la vitesse supérieure en mutualisant leurs forces, tout en faisant valoir une approche différente du commerce, en particulier face aux plateformes numériques. Et c’est peu dire que ce choix porte ses fruits, puisque Canal BD pèse aujourd’hui 15 % du marché. Quant à son Prix des Libraires c’est bien simple : son lauréat voit ses ventes quasiment doubler. Une réussite collective, qui s’est faite en accompagnant les adhérents dans un secteur qui connaît des soubresauts, et en capitalisant sur de véritables passionnés. « Nous ne sommes pas élitistes, mais nous sommes des spécialistes », résume Bruno Fermier.
Angoulême : l'offensive depuis les remparts
Pour Canal BD, le Festival d'Angoulême ne se résume pas à la remise de son Prix. « C'est un moment charnière dans la vie du réseau, et le coup d’envoi de l'année commerciale. » Pour les libraires Canal BD, Angoulême démarre même un jour plus tôt. C’est le mercredi, veille de l’ouverture du festival, que se tient leur assemblée générale. L’occasion de présenter les chiffres-clés, les projets en chantier, et de débattre de la stratégie de la coopérative. « Cette année, 182 libraires étaient présents. Environ 75 % de nos librairies étaient représentées. » Plus encore qu’un moment de travail, c’est un temps de retrouvailles et d'échanges qui nourrit la cohésion du réseau. « La clé du succès, c’est un tiers de travail, un tiers de copains, un tiers de festin », plaisante Bruno Fermier.
Le Prix des Libraires Canal BD, qui fêtait cette année sa 35e édition, a pris une ampleur considérable. « Nous avons décidé il y a dix ans de déplacer la remise à Angoulême. Ici, tous les éditeurs, journalistes et auteurs sont présents. L'année dernière, les ventes du lauréat ont grimpé de 100 % en quelques semaines », souligne Fermier. « Aujourd’hui, c’est le prix le plus important après celui d’Angoulême, parce qu’il est porté par les libraires eux-mêmes tout au long de l’année. Nous cherchons à mettre en avant des auteurs, une vision et des savoir-faire. Un exemple : dans l’ouvrage récompensé cette année, Ulysse & Cyrano, le coloriste a fait un travail exceptionnel. Ce n'est pas un Prix commercial mais une vraie reconnaissance du travail accompli. »
Tous les deux mois, les libraires du réseau élisent deux titres sortis sur la période qui les ont particulièrement marqués. Juste avant Angoulême, ils votent pour désigner un lauréat parmi ces 12 finalistes. Si l’on en doutait, Canal BD le réaffirme haut et fort : dans une coopérative, la démocratie n’est pas un vain mot.
Et depuis trois ans, le Prix s’est enrichi d’une mention spéciale des jeunes lecteurs Pass Culture, décernée par un jury de jeunes lecteurs, issue d’un partenariat avec le dispositif généralisé en 2021 dans le sillage du covid. « Les jeunes lisent les douze titres finalistes et désignent leur coup de cœur. Vous seriez stupéfait par leur implication et la qualité de leurs choix ! Nous sommes très heureux d’entretenir des liens privilégiés avec ce nouveau public », se réjouit Bruno Fermier.
Coopérer un jour, coopérer toujours
Canal BD a su s’imposer comme un acteur majeur du secteur. Le réseau affiche une croissance enviable : +1,8 % en 2024, alors que le marché global de la BD reculait de 4,4 %. « Le marché a connu des bouleversements importants ces dernières années. Avant le covid, le manga représentait 30 à 35 % des ventes. Après la crise sanitaire, il a bénéficié d’un engouement exceptionnel notamment grâce au Pass Culture, au point de peser plus de 50 % du marché en 2021-2022. Depuis, le marché du manga retrouve un niveau plus raisonnable. Il a ainsi baissé de 6 % en 2024 », analyse Bruno Fermier.
Cette année, le plus gros défi qui attend le groupement et ses libraires, c’est la trésorerie. Et pour répondre à ses besoins de financement, c’est tout naturellement que Canal BD s’est tourné vers SOCOREC (voir ci-dessous). Qui mieux qu’une coopérative pour accompagner une coopérative ?
« Nous mettons en place des outils pour optimiser la gestion financière de nos adhérents. C’est indispensable de les soutenir dans cette période complexe », insiste le délégué général. « S’il fallait encore démontrer l’efficacité du modèle , sa résilience hors du commun suffirait à elle-seule. »
Autre levier stratégique : le développement d’outils numériques. « Nous avons lancé un nouveau portail permettant à chaque librairie d'avoir son propre site tout en bénéficiant d'une base de données commune. Et nous allons accélérer le développement des écrans publicitaires en librairie », annonce-t-il.
« Le manga reste un poids lourd. Certains de nos libraires ont ouvert des espaces dédiés pour répondre à la demande », explique le délégué général. Pour soutenir cette dynamique, Canal BD a lancé son "Japan Day", un événement annuel autour du manga, dont la prochaine édition aura lieu le 15 mars. « Nos libraires bénéficient d’un kit de communication complet, et nous négocions des opérations en direct avec les éditeurs. C'est un nouveau temps fort qui vient dynamiser une période de l’année habituellement plus calme. »
Le réseau réfléchit en parallèle à des initiatives similaires pour la BD jeunesse, un segment en pleine croissance.
Une passion chevillée au corps
Au-delà des chiffres, Canal BD est porté par une vision : celle d'un réseau où la relation humaine prime. « Dans la chaîne du livre, on trouve des artisans aux deux extrémités : les libraires et les auteurs. Si l’un d’eux disparaît, tout s’effondre », martèle Bruno Fermier, lui-même scénariste de BD. Son dernier album, Le Diffamé, paru en 2024 aux éditions Nouveau Monde et illustré par Olivier Pâques, revisite la guerre de cent ans. Pour ce qui est de la bataille d’Angoulême, c’est une victoire haut-la-main.
🔎 Zoom sur la Coopérative SOCOREC
Créée en 1963 par des groupements de commerçants indépendants, la coopérative SOCOREC est le grand argentier des acteurs du commerce coopératif et associé. Le groupement Canal BD l’a rejoint en 2020 et a décidé en 2024 de passer un nouveau pallier en réfléchissant à rendre accessible le prêt participatif SOCOREC pour ses adhérents.
« Le prêt participatif est une exclusivité de SOCOREC », explique son directeur général, Éric Holzinger. Unique en son genre, le dispositif permet d’augmenter les quasi-fonds propre pour financer des projets de création, de reprise, de développement, ou un besoin de trésorerie. « Un commerçant qui dispose d’un apport de 25 000 euros peut ainsi le voir porté à 50 000 euros. De quoi démultiplier sa capacité d’emprunt, avec la possibilité de ne commencer à rembourser le capital qu’après 3 à 5 ans. »
Du côté de Canal BD, ce dispositif viendrait enrichir les services proposés aux adhérents, pour les aider à faire face à leurs besoins de trésorerie et à préparer sereinement l’avenir dans un marché encore secoué par l’après-covid.