Le 11 septembre, le Gouvernement dévoilait en grande pompe devant un parterre bien garni de personnalités politiques et économiques, d’urbanistes et de sociologues son plan de transformation des zones commerciales avec un mot d’ordre devenu slogan : haro sur ces « énormes boîtes à chaussures » qui défigurent la France des entrées de villes.
Louis Sullivan, Franck Lloyd Wright, Louis Khan, Le Corbusier, Zaha Hadid, Norman Foster, Jean Nouvel, Franck Gehry ou Oscar Niemeyer, même les moins passionnés d’architecture sont familiers de ces noms qui ont donné à la modernité ses principaux atours. Mais qui connaît Victor Gruen, l’architecte le plus influent du 20ᵉ siècle ?
Pourtant, en signant le premier centre commercial à Detroit, en 1954, Gruen fait basculer le monde dans l’hypermodernité et déclenche une véritable révolution sociale, économique et culturelle. Dès lors, le modèle essaime aux quatre coins du monde jusque dans la banlieue lilloise qui accueille, le 27 mars 1969, le premier centre commercial en France répondant au nom plein de promesses d’Englos les Géants. Ce qui semble constituer au départ une excentricité devient, un demi-siècle plus tard, une spécificité française, comme en attestent froidement les chiffres : 1500 zones commerciales s’étalant sur 500 millions de m2 et concentrant 72 % de la consommation nationale.
Si la configuration urbaine exerce comme un puissant révélateur de la nature et de la qualité du pacte social, elle dévoile ici une politique marquée par le primat d’une logique économique l’emportant sur toute autre considération, esthétique et environnementale du moins. En effet, les externalités négatives que génèrent ces zones et qui impactent leur territoire d’implantation sont nombreuses : artificialisation excessive et imperméabilisation des sols, biodiversité menacée, étalement urbain avec une faible accessibilité via les transports en commun et les mobilités douces. En réponse, les objectifs du gouvernement sont clairs : libérer du foncier pour créer des programmes immobiliers mixtes, des espaces verts, accueillir des équipements publics et faire de la sobriété énergétique une règle intangible.
Pour autant, après avoir tant fait pour revaloriser ces zones et créer de la valeur pour les territoires où celles-ci sont situées désormais les commerçants craignent à raison pour leur activité, menacée par des tentations opportunistes. Après tout, ne sont-ils pas directement accusés d’avoir contribué à enlaidir la France ? Absurde et injuste.
D’abord, parce que le politique a une responsabilité étendue dans la production de ces paysages vernaculaires qui trahissent une hubris mal contenue et nourrie par la volonté de mettre l’espace et le temps au pas, de faire entrer la vie toute entière dans un agenda QuoVadis. Ensuite, parce que les poètes du regard, de Raymond Depardon à Stephen Shore en passant par Vivian Maier, nous ont appris que l’œil et la pratique, en révélant une vérité contextualisée et lorsqu’ils sont guidés par le cœur, parviennent à sublimer le banal, à voir de la beauté là où tant d’autres ne distinguent rien si ce n’est la surface des choses.